Il y a un temps pour se
flatter la bedaine qui est pleine de vie. Ce temps où tous les rêves sont
permis. Où la vie se dessine en rose, en éclats de rire et en odeurs de bébé
propre à la peau douce. Bien sûr, existe l'angoisse qu'il lui manque un bras ou
que le coeur ou les poumons ne soient pas assez forts... Mais pour le reste, on
s'imagine comme dans un film, avec notre bébé et notre nouvelle famille! Le
temps de tous les possibles qu'est la grossesse est un temps où tout nous
appartient encore!
Mon amie de toujours, quand j'étais enceinte de ma Lo (ô il y a si
longtemps déjà... Presque deux décennies!!!), arrivait chez moi avec des poèmes
de féministes qui parlaient de maternité. Elle rêvait d'être mère depuis
toujours. Moi pas. Je n'avais jamais pensé à ce côté de l'existence, j'avais
toujours vécu ma vie comme si c'était quelque chose de fugace, je ne pensais
jamais à ça. De toute façon, j'avais 20 ans. Est-on si réfléchie à 20 ans? Eh
bien, elle oui!
Son excitation pour ma grossesse me faisait l'aimer encore plus.
Elle était si mignonne face à mon bedon tout rond, elle était si
exaltée que ça m'aidait à passer quelques angoisses de jeune mère. Tout irait
bien!
...
Puis un jour ce fut son tour...
Un peu après que j'ai eu mon Oli, elle a eu son premier aussi.
Elle en a forgé des rêves et des images mentales de la maternité. En me
regardant, elle savait bien que le rose qui colorerait ses joues ne serait pas
fait que de joies, mais aussi de fatigues et de tensions. Mais elle abordait ce
pan de sa vie avec une telle ouverture et une telle aisance! Une mère naturelle
mon amie! Elle a mené de front les études, le travail et les bébés! Elle a
bravé plusieurs villes, plusieurs tempêtes. Et elle est une mère
extraordinaire. Qui sait rire avec ses petits, qui sait encore s'émerveiller de
toutes ces choses belles qu'offre la vie. Les oiseaux dans la cour, ses chiens
et ses poissons. Son chat aussi!
...
Cette semaine, elle est venue chez moi. Parler un peu.
Sa maternité ces jours-ci, fait mal.
Elle a des enfants qui "offrent de grands défis", qui
ont à vivre pour toute leur vie avec des conditions difficiles. Et il n'y a rien à faire
d'autre que l'amour. Toujours. Rien à faire d'autre que de vivre avec le
constat qu'il n'y a pas que les bras dans le front qui peut handicaper une vie.
Je dis handicaper, mais je veux dire... La colorer, lui donner un angle
différent. Je veux dire vivre avec un regard qui n'appartient qu'à nous, qui ne
répond à aucune norme. Voir la vie avec les lunettes de certaines conditions
neurologiques ou de maladies mentales...
...
je regarde tout autour de moi et je m'aperçois que la vie nous a
donné à mes amies et moi des défis de taille. Pas de fauteuil roulant, pas de
béquilles. Mais des enfants différents, aux regards sensibles, à la fragilité
non apparente, mais qui fait mal pareil. Des enfants qui demandent sans cesse
de réviser ce qu'on pense savoir, pour aller encore plus loin dans nos
réflexions. Des enfants qui nous demandent une présence sans relâche, mais qui
eux, devront apprendre à vivre tous les jours avec leurs différences, dans une
société qui demande à suivre les rangs.
...
Bien entendu, tous les enfants offrent des défis et tous les
parents ont des cernes sous les yeux pour prouver à quel point le sommeil est différent
lorsque l'amour est si fort. Mais dans mon entourage, je dois avouer qu'il y a
certaines personnes à qui je voudrais donner plus souvent des tapes dans le
dos, à qui je voudrais donner des fleurs, des petites douceurs, parce que bien
que la terre continue de tourner, elle tourne parfois bien carré dans leur
demeure! Et qu'il n'y a rien à faire d'autre, que d'aimer et d'accepter. Aimer
et évoluer, aimer et apprendre à intervenir pendant et après les crises de
toutes sortes.
...
Quand on attend nos bébés, on ne rêve jamais, mais alors là
jamais, d'avoir des enfants TED, borderline, avec les lobes frontaux qui ne se
développent pas, hypersensibles, anxieux chroniques, prématurés, asperger, bipolaires...
Et quand je nomme ces "étiquettes" j'ai mal. Car pour
moi ces étiquettes portent des prénoms que j'aime. Et que ces enfants ne sont
pas seulement et sont bien au-delà de ces étiquettes, des enfants qui ont un
coeur, des amis, des rêves et des envies. Ce sont des enfants qui ont tous des
parents dévoués, aimants et fatigués. Ce sont des enfants qui doivent tous les
jours, vivre l'équivalent de leurs olympiques... Surmonter leurs peurs, les
préjugés et leurs démons.
Oui. On doit tous le faire. Mais pour eux et pour leurs parents,
la barre est un peu plus haute que pour les autres... Parce que certains démons
prennent plus de place que d'autres.
...
Alors, ce matin je bois mon café à nous toutes, pour qui les rêves
de meilleurs sont bien présents... À nous toutes aussi pour qui tous les
possibles le sont vraiment. Car la vie bien qu'elle ne soit pas toujours comme
dans nos intentions les plus folles, elle est belle, et bien que nos enfants ne
soient pas tous "conformes"... Ils sont tripants, intelligents et
intéressants. Bien que souvent nous soyons découragées, dépassées et
démunies... Nous sommes fortes et bien présentes. Personne ne peut dire toutes
les aventures que nous vivons en famille, car nous ne trimballons aucun signe
visible de ces défis... Mais nous les surmontons une à une et nous allons
finalement bien plus loin que nous le pensions, quand nous caressions notre bedon, il y
a de cela bien longtemps...
...
Je vous offre à vous parents et aux autres aussi, vous qui nous
côtoyez... Ces fleurs, prises avec un filtre macro... Nos premiers essais du
genre.
Je suis contente d'avoir planté ces ancolies. Ce sont des fleurs
si étranges et magnifiques!!!
Bonne journée!